Inktober 2017

Screech

Screech

Screech de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

« Des renforts sont en route ! Rends-toi O'Connell ! »

Pas de réponse. Pourquoi est-il allé se réfugier dans cette vieille bâtisse, sérieux ? S'il croit vraiment qu'un vieux manoir en bois constitue un planque solide, il est encore plus demeuré que j'le pensais. Bon, il faut que j'avance prudemment, le parquet grince comme pas possible, donc impossible d'être discret. Un regard à gauche, arme au poing, torche en appui, hop, j'avance.

« WOOH ! O'Connell ! Tu m'entends ? D'une seconde à l'autre on va entendre les sirènes ! Rends-toi ! »

Raaah, c'est pas possible, il est où ce con ? Personne dans le salon, personne dans la cuisine. Ah ! Un grincement derrière moi ! Je me retourne et... Non, c'est juste la toile blanche de rideaux en lambeaux qui flottent négligemment au clair de lune. Bon, dans le bureau, il y a rien non plus : deux trois bibliothèque, une commode, une cheminée, un cercle de symboles dessiné à la craie au sol ; rien d'intéressant en somme.

« Bon aller, ça a assez duré sort de.. »

Pas le temps de finir ma phrase, un cri strident résonne ! Une femme ?! Ou peut-être une petite fille ! Bon sang, mais qu'est-ce qu'elle fait là ? O'Connell, t'as pas intérêt à lui faire de mal ! Le cri vient d'en haut, ni une ni deux je me dirige aux pas de course vers les escaliers. Tiens, la baraque à pas de toit, j'avais pas fait gaffe en arrivant. C'est pour le mieux, la pleine lune me donne une bonne visibilité. J'avance vers une chambre, au sol allongé, le regard vide : O'Connell ! Merde, il est mort. À côté, il y a une femme qui est assise, comme à son chevet. Sa chevelure noire décoiffée, vole au vent, un peu comme si elle était sous l'eau. Elle est habillée d'une petite robe blanche... Mince ! Elle doit se les geler.

« Madame ? Tout va bien ? »

Pas de réponse. Je m'approche prudemment, elle est peut-être en état de choc. Je crois entendre des sanglots.

« Madame ? Je suis de la police de Longford. »

Je suis à sa hauteur, je pose ma main sur son épaule et... D'un coup elle se retourne en hurlant ! Surpris, je m'écarte et c'est là que je les vois ! Ses yeux ! Ses orbites son vide ! Marie ! La pauvrette est aveugle !

« Ça va aller madame. Pas besoin de hurler, je suis de la police je vais vous aider. »

Elle a l'air étonnée. Je déchire un lambeau de ma chemise. Doucement je pose le lambeau sur ses yeux pour former un bandeau. Voilà, ça devrait la protéger, ne serait-ce qu'un peu, des infections. Je m'assieds à côté d'elle et je jette un œil à O'Connell. Ses lèvres sont bleues... Une cyanose ? Je reporte mon attention sur la femme. Elle a l'air complètement perdue.

« Je m’appelle Allistair Kelly. Quel est votre nom ? »

Elle ne réagit pas tout de suite. Après un temps, elle bouge doucement les lèvres comme si parler allait lui arracher les cordes vocales.

« Bean Si »

Crooked

Crooked

Crooked de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Rarement dans la littérature morbide il est fait mention de l'étrange affaire du duché de Tizac. Contrairement à tous ses voisins et à la plainte générale de ses gens, le Duc Abaddie de Tizac avait interdit les exécutions publiques. Le bourreau opérait depuis quelques années directement dans la prison du château, en présence disait-on, d'un prêtre et d'un officiel en témoin. La nature pieuse et la politique résolument moderne du Duc aurait dû suffire à justifier ce décret : la mort doit se faire dans le deuil et non la joie, même pour le plus vil des hommes. Mais comme vous le savez certainement, rares sont les décisions politiques d'apparence innocentes à l'être réellement.

Cette affaire fut portée à mon attention après que j'eus observé une hausse de la criminalité au duché de Tizac. Est-ce que priver son peuple d'exécutions publiques avait pu lui faire oublier la peur de l'échafaud ? De ce que j'avais pu recueillir comme information sur lui, le Duc m'apparaissait comme un dirigeant sensé et un être intelligent. Étrange que quelqu'un d'aussi avisé ne soit pas au fait des bienfaits du divertissement populaire pour la stabilité politique d'une région. Non, tout cela était décidément trop étrange.

Je pris donc la route pour le duché de Tizac, où je me fis passer pour un vagabond. Arrivé aux faubourgs du château, j'entrais dans le personnage. Une bagarre d'ivrognes plus tard et me voici au cachot pour la semaine. De ma cellule je pouvais observer la prison de l'interieur, interroger les prisonniers de longue date et surtout manipuler les gardes afin qu'ils me révèlent des informations par mégarde. Il me fallut au final, cinq allés-retours aux geôles pour peindre un tableau complet de l'affaire.

Les faits étaient accablants : les condamnés à mort étaient tous enfermés dans une aile séparée des cachots ; aucun garde n'avait jamais assisté à une exécution ; personne n'avait vu aller où venir le bourreau, ni ne connaissait son identité. À cela, il fallait ajouter deux derniers faits très étranges : les exécutions avaient exclusivement lieu de nuit ; lorsqu'ils étaient transportés à la fosse commune, les corps des condamnés étaient enroulés dans un linceul blanc si serré qu'on apercevait les traits des défunts.

À l'auberge, plongé dans mes réflexions depuis plusieurs jours, je maudis ma stupidité qui me fit passer à côté de l'élément le plus étrange de l'affaire : les corps dans les linceuls ont encore leur tête ! Or, la loi est formelle, la décapitation est la seule forme d'exécution autorisée dans le royaume.

Réalisant l'ampleur de l'affaire, je me rends au galop à Pessan, quérir l'aide de l'Évêque Labriffe. Celui-ci, face aux éléments de l'enquête arrive aux mêmes conclusions que moi et en vertu de son autorité cléricale, réquisitionne un détachement militaire afin d'amener Abaddie de Tizac devant la justice royale. Celui-ci est enfermé et quelques semaines d'enquête supplémentaire révèlent toute l'affaire.

Le Duc, vampire, avait réussi à cacher sa nature démoniaque en se nourrissant des condamnés à mort de son duché. Afin d'être toujours approvisionné, il orchestrait des meurtres et faisait condamner des innocents. Son stratagème aurait pu durer encore très longtemps s'il n'avait pas cédé à la gloutonnerie. Mais rassurez-vous, celui-ci a été exécuté et la date de sa mort est aujourd'hui un jour de fête dans tout le royaume.

Shy

Shy

Shy de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Les habitants de Lydion sont fiers et comment le leur reprocher ? Leur ville est un paradis sur Terre. Elle est réputée pour sa vie nocturne riche : ses gigantesques opéras aux divas virtuoses et ses petits théâtres intimistes ; pour sa gastronomie : ses pâtisseries familiales sur les quais, ses grands restaurants dans le centre historique ; pour ses divertissements ; pour ses talentueux artistes de rues et surtout pour son grand parc d’attraction de renommée mondiale : Les Jardins de Pluton.

La particularité des Jardins, c’est son mélange unique d’immenses attractions permanentes, qui font la réputation du parc, et d’autres, plus modestes et temporaires, organisées par des groupes de nomades. Cette variété lui donne une atmosphère empreinte de magie et de mystère. Le plan n’est jamais le même, d’un jour sur l’autre, le visage des Jardins change du tout au tout.

Dans les tréfonds du parc, loin dans le quartier des forains, dans une ruelle dont l’entrée est cachée par de grandes toiles violettes, se trouve la plus petite et la plus ridicule des attractions : un chamboule-tout. J’ai été très surpris de tombé dessus, à vrai dire, je cherchais les toilettes.

« Bonjour, jeune homme. Tu viens tenter ta chance au Grand Chamboule-Tout de Pluton ? » m’alpague l’homme frêle qui tient le stand. Je le regarde pendant une seconde. Vêtu d’un costume fantaisie rapiécé, ce qui marque c’est son masque, il est aussi imposant que son porteur est chétif.

« Ah, ben pourquoi pas. Qu’est-ce que je gagne ?
— Pas de lot ici mon garçon, cabotine-t-il, se désarticulant derrière son comptoir. Au Grand Chamboule-Tout de Pluton, on mise et on souhaite.
— Je comprends pas.
— Bien, dit-il après un temps de réflexion, alors je t’offre un coup pour rien. »

Il me tend une balle. Je le regarde un moment. Je la prends, je la lance à la base des conserves : la tour s’effondre. Un peu surpris, je le dévisage d’un air interrogatif. « Bien joué, gaillard, ton souhait est exaucé », m’annonce-t-il en me pointant la direction d’une porte d’un cabinet de toilette, juste à côté de moi, que je n’avais pas vu. Comment j’avais fais pour ne pas le voir ?

Sortant des toilettes, ayant eu un temps de réflexion, je décide de le mettre au défi, l’air déterminé j’annonce : « Bien ! Je souhaite la richesse et la gloire !
— Contre quoi ? demande-t-il, taquin.
— De l’argent ?
— Non, quelque chose qui a plus de valeur.
— Quoi ?
— Et bien… fait-il, l’air de faussement réfléchir. Pourquoi pas 30 années de services par exemple ? »

Je sens que je transpire un peu, je déglutis. « Marché conclu » dis-je du bout des lèvres, un léger tremolo dans la voix. Il me tend une balle que je prends. J’essaie de me rassurer pour arrêter mon bras de trembler. A-t-on jamais vu un pari mal tourner ?

Sword

Sword

Sword de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Altesse Sérénissime, Divine Souveraine,

Votre Éminente Grâce permettra que je lui rappelle la tache qu'elle me confiât à l'occasion de ma visite dans son palais pour les noces de Son Altesse Princière, son fils, au printemps dernier. Votre Éminente Grâce avait eu vent de rumeurs colportées en son Saint Royaume concernant une enfant accomplissant exploits et fait d'armes, au grand plaisir de ses sujets provinciaux, mais à l'inquiétude formulée de sa Garde.

Ma Reine permettra que je lui demande humblement d'excuser le délai avec lequel je lui fais part de l'avancement de mon investigation.

Ce temps, je puis lui affirmer que les rumeurs dont elle me fit part étaient fondées : Ozalie de Blanchecombe, âgée de treize années et armée d'une épée bien trop imposante pour sa frêle stature, sillonne le Saint Royaume de Votre Éminente Grâce, purgeant le mal, le chaos et l'ombre sur son passage.

Le nom Blanchecombe sera peut-être familier à Votre Éminente Grâce puisque, quinze années auparavant, ce nom était porté par l'une des membres de sa Garde : Celia de Blanchecombe qui s'était rendu coupable de désertion, d'apostasie et de haute trahison en abandonnant son illustre poste à la protection sacrée de Votre Divine Personne, brisant son serment, répudiant son devoir et reniant ses vœux.

Votre Éminente Grâce comprendra ainsi aisément le dilemme qui me tînt : l'engeance d'une trahison envers sa Divine Souveraine peut-elle être pardonnée par l'abnégation, la chevalerie et l'altruisme dont fait preuve quotidiennement l'héroïne proclamée du peuple provinciale.

Ainsi, je m'en remets au juste jugement de Votre Éminente Grâce ; je suis, ce temps, accompagné de l'héritière de Blanchecombe, en route pour le palais où ma Reine aura le loisir de prendre la décision qui lui siéra.

E. B.

Long

Long

Long de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Depuis la nuit des temps, au pays on peut croiser ceux qu'ils appellent les Percelieux. Ce sont des géants silencieux, hauts comme des montagnes, qui marchent lentement dans une patrouille mystérieuse. Bien que l'on sache peu de choses à leur sujet, ils font partie de notre culture et nous vivons en symbiose avec eux.

Le tracé laissé par leurs immenses pieds sont devenus des routes et leurs lieux de repos des points de repère. Notre peuple les a baptisés et aujourd'hui, chaque région a son Percelieux et porte son nom.

Évidemment, les érudits de toutes les générations se succèdent pour essayer de comprendre leur rôle, leur origine, ou leur nature. Mais plus nous en apprenons sur nos étranges voisins, moins nous comprenons ce qu'ils font là.

Je m'appelle Cornelius Archiflux, je suis le plus grand érudit de ma génération sur les Percelieux. Sans vouloir me vanter, je pense avoir fait bien avancé l'état de nos connaissances à leur sujet.

Grâce à moi, nous savons notamment qu'ils ne se nourrissent pas. C'est une thèse, qui fait aujourd'hui loi, que je développe dans un de mes livres où j'explique que s'ils ne se soulagent pas, c'est naturellement qu'ils ne se nourrissent pas. Imparable.

Au sommet de ma gloire, j'ai ordonné qu'on brise le tabou sacré de nos vieilles croyances et qu'on abatte un de ces géants. Il me tardait de pouvoir enfin faire ce que tous mes prédécesseurs n'avaient que fantasmé : une autopsie.

Un matin, avec mon équipe de médecins, de biologistes et de zoologistes ainsi qu'accompagné par un régiment de l'armée, nous sommes allés à la rencontre d'Atris, le Percelieu du coin. Après un seul coup de canon à la nuque, il s'est effondré de tout son long. Nous avions alors attribué le séisme qui s'en est suivi au contrecoup de la chute du géant. Mais une semaine plus tard, la nouvelle tombait. Tous les Percelieux s'étaient éteints, en même temps.

La découverte était grande, les géants sont liés ! La mort de l'un, signifie leur mort à tous. On aurait dû me couvrir de gloire pour une telle découverte, bien qu'accidentelle. Mais non ! Pensez-vous ! La doxa n'était pas en phase avec de telles révélations.

La fin des Percelieux, a mis en péril le réseau routier, soit. Il est désormais impossible de se repérer facilement en regardant leurs silhouettes imposantes à l'horizon, je l'admets. Les prédateurs n'étant plus effrayés par leur présence sortent des forêts et s'aventurent maintenant jusqu'en ville, d'accord. Leurs carcasses géantes ont causé l'augmentation de la population de rats propageant des épidémies et rendant les villes insalubres, je le concède.

Mais tout de même ! Était-ce une raison suffisante pour m'enfermer pour l'éternité ? J'en doute.

Underwater

Underwater

Underwater de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

On me demande souvent : « Mon père, vous avez vécu une longue et excitante vie. Exorciste, ça doit laisser des souvenirs. Maintenant que vous êtes à la retraite, vous pourriez me raconter l'exorcisme le plus éprouvant que vous ayez eu à faire ? » Ce à quoi je réponds sans faute : « Oui bien sur, mais je vous préviens : ce n'est pas une histoire qui fait peur. »

Voyez-vous il y a de cela des années, je voyageais au Danemark. Arrivé au port de Flensbourg, l'Évêque me fait mander. Il avait eu vent de ma présence et souhaitait recourir à mes services. Dans son bureau, il m'expliquait alors que les marins avaient rapporté voir, la nuit, trois lueurs grises flotter au fond de la baie. Au début, on pensa que c'était la lune ou bien le phare qui se reflétait dans l'eau et personne ne s'inquiétait de l'étrange phénomène.

Seulement un jour, on a retrouvé sur la berge, le corps d'un enfant mort, noyé. Le lendemain, on en retrouvait un deuxième et le surlendemain, trois autres. Autant vous dire, qu'avec cinq enfants noyés en moins de trois jours, le bourgmestre a pris les choses en main. Interdiction pour les enfants d'approcher du port et début d'une grande chasse à la sorcière.

C'est seulement après avoir brûlé cinq courtisanes et retrouvé deux nouveaux corps d'enfants que le rapprochement entre les trois lueurs et les noyades fut établi.

À ce moment en général, on me demande : « Alors ? C'était ça ? Un démon de la goétie sous les eaux ? » ce à quoi je réponds : « Non ». Voyez-vous, ce n'était pas un démon, mais les âmes perdues de trois chatons noyés dans un sac. Leurs esprits jovials et joueurs attiraient les jeunes enfants sous l'eau, où ceux-ci se noyaient.

Pour les libérer la ville de la malédiction, il ne me fallut que prier pour les âmes des chatons et construire trois petites tombes derrière une chapelle, prêt d'un saule.

« Et c'est tout ? La vie à Flensbourg a pu reprendre son cours normal ? »

Oui… Enfin presque, puisque peu après mon départ, cinq lueurs rousses furent aperçues, flottantes dans le ciel.

Poison

Poison

Poison de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Loin au nord, dans les grandes steppes froides, sur un versant de colline proche d'un lac, se trouvait une charmante petite ville. En son sein, tout de pierre blanches construit, trônait le château du baron. Celui-ci culminait au-dessus des petites cheminées de la ville, telle une lance dans un champ de poignards. Le seigneur était bienveillant et assurait à ses gens une vie saine et confortable. Dans ce petit coin de paradis frisquet, même les paysans avaient une belle vie à base de plantes grasses, de fourrage et de bétail à fourrure.

Le baron, qui comme le savait chacun des habitants du bourg était doté de la plus grande des sagesses et d'une curiosité d'érudit, avait mille passions. Cependant, tel que pouvaient en attester les lavandières du lac, il aimait par-dessus tout étudier l'anatomie humaine.

Il pouvait passer des semaines entières à mesurer les courbes d'une paire de jambes, le volume d'un buste saillant ou la couleur virginale d'une peau de jeune fille. Puisque sa science demandait, selon lui, une implication implacable, il ne prenait que très peu de repos de sa routine quotidienne de hanches, de cuisses et de seins.

À mesure que les passions du baron étaient assouvies, la tristesse de la baronne grandissait. Le défilé incessant de ses sujets d'études était pour elle une douleur constante. Plus elle vieillissait, plus le spectacle lui devenait insupportable et plus la souffrance de savoir sa vertu inintéressante aux yeux de son baron de mari devenait assourdissante.

Finalement, elle transforma sa douleur en colère et sa colère en force. Animée par la rage de celle qu'on trahit jour après jour pendant des années, elle dépensa une fortune chez un marchant exotique venu d'orient afin de se procurer un petit flacon. Patiemment, elle attendit alors la meilleure occasion, qui se présenta lors du solstice d'hiver.

Il était de tradition dans la baronnie que pour la nuit la plus longue de l'année, le seigneur offre à ses sujets un bol de soupe afin de leur tenir chaud. Cette tradition prenait la forme d'un grand banquet dans la salle de réception du château où tous les sujets étaient conviés.

Aveuglée par sa rage bouillonnante, la baronne, vous vous en doutez, empoisonna la soupe avant de prendre place au banquet, un sourire narquois aux lèvres. Jubilante, elle ne pouvait s'empêcher de rire pendant le discours de son mari. Celui-ci, qui quelques instants plus tôt se gargarisait de son éloquence, après la première cuillerée, s'effondra, animé de spasmes incontrôlés, mousse aux lèvres, gargarisant.

Divided

Divided

Divided de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

« Drrrrring, drrrrrong »

La vieille sonnette électrique, bien qu'elle fonctionnât encore ne produisait plus qu'un désagréable son grinçant. « Probablement les piles, se dit le vieux Marius en se retournant. Bonjour, ma petite dame, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? À la recherche d'un article de décoration, peut-être ? demanda-t-il souriant tout en tendant subtilement le bras vers un stock de vases russes qu'il essayait d'écouler depuis des mois.

— Ahem, non merci, commença la jeune femme d'un air un peu gêné. Je ne viens pas pour acheter. C'est pour une expertise. »

Tandis qu'elle s'approchait du comptoir en fouillant dans son sac, Marius l'observait. Il avait l'habitude des collégiennes gothique qui venait dans sa boutique à la recherche d'artefacts mystiques et de documents sur l'histoire de la sorcellerie, mais bien qu'elle fut habillée de noir des pieds à la tête, poussant le vice jusqu'au noir à lèvre, il l'estimait trop vieille pour ce genre d'articles.

« Voilà, c'est ça » dit-elle en sortant de son sac en cuir (noir), une petite statuette jaunâtre enroulée dans du linge. Un regard suffit. Elle n'avait pas encore fini de le sortir qu'il en eut le souffle coupé. Alors qu'elle commençait à dérouler le linge, il sentit son dos perler de gouttes de sueur. Lorsqu'elle posa l'objet sur le comptoir, il ne pouvait plus le caché, il respirait fort, il suait abondamment et il avait l'impression que son cœur battait tellement fort, qu'il aurait suffit d'un silence pour qu'elle pût l'entendre. Cela dit, il tenta.

« D'un coup d'œil, je peux vous dire que c'est contemporain. Vous voyez les rainures sur le côt… essaya-t-il avant de se faire interrompre.

— C'est moi qui l'ai ramené, dit-elle sèchement. Inutile de me sortir votre discours d'antiquaire.

— Vous ? Mais comment ?

— À pied. »

Il ne pouvait y croire, personne n'avait jamais fait le trajet à pied. Même les plus grands explorateurs avait recourt à des moyens de transports tous les plus élaborés les uns que les autres. Qu'est-ce que ça signifiait ?

« Qu'est-ce que vous voulez réellement ? Si ce que vous dîtes est vrai et que vous avez parcourues ces contrées, alors, vous en savez probablement autant que moi. Cette statuette fait partie d'un duo perdu.

— J'ai entendu des rumeurs en ville, dit-elle d'un ton empli de mystère. Dans certaines sphères il se dit des choses très intéressantes. On parle d'un antiquaire qui serait en possession de l'unique autre exemplaire.

— Jamais. Jamais vous m'entendez. Cette statuette est dans ma famille depuis des années.

— Allez, soyez chic. Qu'est-ce que vous allez faire d'un seul serre-livre Pikachu de toute façon ? »

Swift

Swift

Swift de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Au rythme de ses talons qui frappent le béton, les pigeons suivent du regard sa course effrénée de toits en toits. Arrivée à un bord, sans s'arrêter, elle prend appui et s'élance. Elle s'élève au-dessus de l'avenue bondée et depuis l'obscurité des sommets elle jette un œil à la marrée de lumières colorées que projette la foule d'indolents. Si sur le cours d'une seconde le temps semble se figer, très rapidement la mosaïque s'efface pour laisser place, de nouveau, à l'obscurité lorsqu'elle atteint le prochain toit. Reprenant sa course, mentalement, comme un routine, elle se prépare à ce qui l'attend : ce n'est pas le premier nœud qu'elle infiltre, mais c'est probablement le mieux protégé du secteur.

Oppressée par l'enjeu, le stress l'a fait se précipiter. Accumulant les erreurs ; un voyant par ci, une camera par là, elle se presse toujours plus. Le cercle vicieux fini par se refermer, et lorsqu'elle atteint une salle machine, par-dessus l'assourdissant bruit de la ventilation, retenti une sirène stridente. De la pénombre, la pièce est soudainement baignée par le rouge de l'alerte. Elle le sait, non loin, les forces de sécurité convergent déjà vers sa position.

Hors de question de se laisser prendre. Elle choisit la seule solution qui lui paraît viable. Dans la ventilation, elle rampe et s'éloigne le plus possible de la sécurité. Mais, prise au piège dans un labyrinthe de conduites obscures, ne pouvant compter ni sur la vue, ni sur l'ouï, ni sur un fil d'ariane, elle avance tant bien que mal, se concentrant pour ne pas perdre la raison. Car depuis des jours perdue dans les limbes et avançant sur le ventre, ses yeux aveugles lui font voir des hallucinations.

Au loin, derrière les plaines craquelées, elle aperçoit, un grand château sein de sept murailles. Par-delà les sept portes, elle distingue de vertes prairies qui lui sont inaccessibles. Continuant son pèlerinage, au fur et à mesure qu'elle approche, à l'horizon se dessine un gigantesque orbe de flammes. Sa lumière blanche inonde son champ de vision. Enfin, elle peut se lever.

Reprenant ses esprits, elle met quelques instants à comprendre où elle est : dans un puits d'aération. Cette gigantesque structure hexagonale est un grand faussé d'où toutes les conduites partent et où elles se rendent. En contrebas, le puits donne sur une rue bondée : la liberté. Mais il y a un dernier obstacle sur sa route, une hélice à trois pales qui tourne à toute vitesse sur toute l'envergure du puits. Déjà, son subconscient lui envoi des images de chair découpée et broyée, elle les balaie. La concentration fait monter l'adrénaline dans son corps, son métabolisme et son rythme cardiaque s'accélère. L'écoulement du temps ralenti lui fait percevoir une vitesse de rotation accessible. Elle focalise son attention sur les pales, elle prend le rythme, un, deux, et elle s'élance.

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