Cocquecigrues

Underwater

Underwater

Underwater de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

On me demande souvent : « Mon père, vous avez vécu une longue et excitante vie. Exorciste, ça doit laisser des souvenirs. Maintenant que vous êtes à la retraite, vous pourriez me raconter l'exorcisme le plus éprouvant que vous ayez eu à faire ? » Ce à quoi je réponds sans faute : « Oui bien sur, mais je vous préviens : ce n'est pas une histoire qui fait peur. »

Voyez-vous il y a de cela des années, je voyageais au Danemark. Arrivé au port de Flensbourg, l'Évêque me fait mander. Il avait eu vent de ma présence et souhaitait recourir à mes services. Dans son bureau, il m'expliquait alors que les marins avaient rapporté voir, la nuit, trois lueurs grises flotter au fond de la baie. Au début, on pensa que c'était la lune ou bien le phare qui se reflétait dans l'eau et personne ne s'inquiétait de l'étrange phénomène.

Seulement un jour, on a retrouvé sur la berge, le corps d'un enfant mort, noyé. Le lendemain, on en retrouvait un deuxième et le surlendemain, trois autres. Autant vous dire, qu'avec cinq enfants noyés en moins de trois jours, le bourgmestre a pris les choses en main. Interdiction pour les enfants d'approcher du port et début d'une grande chasse à la sorcière.

C'est seulement après avoir brûlé cinq courtisanes et retrouvé deux nouveaux corps d'enfants que le rapprochement entre les trois lueurs et les noyades fut établi.

À ce moment en général, on me demande : « Alors ? C'était ça ? Un démon de la goétie sous les eaux ? » ce à quoi je réponds : « Non ». Voyez-vous, ce n'était pas un démon, mais les âmes perdues de trois chatons noyés dans un sac. Leurs esprits jovials et joueurs attiraient les jeunes enfants sous l'eau, où ceux-ci se noyaient.

Pour les libérer la ville de la malédiction, il ne me fallut que prier pour les âmes des chatons et construire trois petites tombes derrière une chapelle, prêt d'un saule.

« Et c'est tout ? La vie à Flensbourg a pu reprendre son cours normal ? »

Oui… Enfin presque, puisque peu après mon départ, cinq lueurs rousses furent aperçues, flottantes dans le ciel.

Poison

Poison

Poison de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Loin au nord, dans les grandes steppes froides, sur un versant de colline proche d'un lac, se trouvait une charmante petite ville. En son sein, tout de pierre blanches construit, trônait le château du baron. Celui-ci culminait au-dessus des petites cheminées de la ville, telle une lance dans un champ de poignards. Le seigneur était bienveillant et assurait à ses gens une vie saine et confortable. Dans ce petit coin de paradis frisquet, même les paysans avaient une belle vie à base de plantes grasses, de fourrage et de bétail à fourrure.

Le baron, qui comme le savait chacun des habitants du bourg était doté de la plus grande des sagesses et d'une curiosité d'érudit, avait mille passions. Cependant, tel que pouvaient en attester les lavandières du lac, il aimait par-dessus tout étudier l'anatomie humaine.

Il pouvait passer des semaines entières à mesurer les courbes d'une paire de jambes, le volume d'un buste saillant ou la couleur virginale d'une peau de jeune fille. Puisque sa science demandait, selon lui, une implication implacable, il ne prenait que très peu de repos de sa routine quotidienne de hanches, de cuisses et de seins.

À mesure que les passions du baron étaient assouvies, la tristesse de la baronne grandissait. Le défilé incessant de ses sujets d'études était pour elle une douleur constante. Plus elle vieillissait, plus le spectacle lui devenait insupportable et plus la souffrance de savoir sa vertu inintéressante aux yeux de son baron de mari devenait assourdissante.

Finalement, elle transforma sa douleur en colère et sa colère en force. Animée par la rage de celle qu'on trahit jour après jour pendant des années, elle dépensa une fortune chez un marchant exotique venu d'orient afin de se procurer un petit flacon. Patiemment, elle attendit alors la meilleure occasion, qui se présenta lors du solstice d'hiver.

Il était de tradition dans la baronnie que pour la nuit la plus longue de l'année, le seigneur offre à ses sujets un bol de soupe afin de leur tenir chaud. Cette tradition prenait la forme d'un grand banquet dans la salle de réception du château où tous les sujets étaient conviés.

Aveuglée par sa rage bouillonnante, la baronne, vous vous en doutez, empoisonna la soupe avant de prendre place au banquet, un sourire narquois aux lèvres. Jubilante, elle ne pouvait s'empêcher de rire pendant le discours de son mari. Celui-ci, qui quelques instants plus tôt se gargarisait de son éloquence, après la première cuillerée, s'effondra, animé de spasmes incontrôlés, mousse aux lèvres, gargarisant.

Divided

Divided

Divided de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

« Drrrrring, drrrrrong »

La vieille sonnette électrique, bien qu'elle fonctionnât encore ne produisait plus qu'un désagréable son grinçant. « Probablement les piles, se dit le vieux Marius en se retournant. Bonjour, ma petite dame, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? À la recherche d'un article de décoration, peut-être ? demanda-t-il souriant tout en tendant subtilement le bras vers un stock de vases russes qu'il essayait d'écouler depuis des mois.

— Ahem, non merci, commença la jeune femme d'un air un peu gêné. Je ne viens pas pour acheter. C'est pour une expertise. »

Tandis qu'elle s'approchait du comptoir en fouillant dans son sac, Marius l'observait. Il avait l'habitude des collégiennes gothique qui venait dans sa boutique à la recherche d'artefacts mystiques et de documents sur l'histoire de la sorcellerie, mais bien qu'elle fut habillée de noir des pieds à la tête, poussant le vice jusqu'au noir à lèvre, il l'estimait trop vieille pour ce genre d'articles.

« Voilà, c'est ça » dit-elle en sortant de son sac en cuir (noir), une petite statuette jaunâtre enroulée dans du linge. Un regard suffit. Elle n'avait pas encore fini de le sortir qu'il en eut le souffle coupé. Alors qu'elle commençait à dérouler le linge, il sentit son dos perler de gouttes de sueur. Lorsqu'elle posa l'objet sur le comptoir, il ne pouvait plus le caché, il respirait fort, il suait abondamment et il avait l'impression que son cœur battait tellement fort, qu'il aurait suffit d'un silence pour qu'elle pût l'entendre. Cela dit, il tenta.

« D'un coup d'œil, je peux vous dire que c'est contemporain. Vous voyez les rainures sur le côt… essaya-t-il avant de se faire interrompre.

— C'est moi qui l'ai ramené, dit-elle sèchement. Inutile de me sortir votre discours d'antiquaire.

— Vous ? Mais comment ?

— À pied. »

Il ne pouvait y croire, personne n'avait jamais fait le trajet à pied. Même les plus grands explorateurs avait recourt à des moyens de transports tous les plus élaborés les uns que les autres. Qu'est-ce que ça signifiait ?

« Qu'est-ce que vous voulez réellement ? Si ce que vous dîtes est vrai et que vous avez parcourues ces contrées, alors, vous en savez probablement autant que moi. Cette statuette fait partie d'un duo perdu.

— J'ai entendu des rumeurs en ville, dit-elle d'un ton empli de mystère. Dans certaines sphères il se dit des choses très intéressantes. On parle d'un antiquaire qui serait en possession de l'unique autre exemplaire.

— Jamais. Jamais vous m'entendez. Cette statuette est dans ma famille depuis des années.

— Allez, soyez chic. Qu'est-ce que vous allez faire d'un seul serre-livre Pikachu de toute façon ? »

Swift

Swift

Swift de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Au rythme de ses talons qui frappent le béton, les pigeons suivent du regard sa course effrénée de toits en toits. Arrivée à un bord, sans s'arrêter, elle prend appui et s'élance. Elle s'élève au-dessus de l'avenue bondée et depuis l'obscurité des sommets elle jette un œil à la marrée de lumières colorées que projette la foule d'indolents. Si sur le cours d'une seconde le temps semble se figer, très rapidement la mosaïque s'efface pour laisser place, de nouveau, à l'obscurité lorsqu'elle atteint le prochain toit. Reprenant sa course, mentalement, comme un routine, elle se prépare à ce qui l'attend : ce n'est pas le premier nœud qu'elle infiltre, mais c'est probablement le mieux protégé du secteur.

Oppressée par l'enjeu, le stress l'a fait se précipiter. Accumulant les erreurs ; un voyant par ci, une camera par là, elle se presse toujours plus. Le cercle vicieux fini par se refermer, et lorsqu'elle atteint une salle machine, par-dessus l'assourdissant bruit de la ventilation, retenti une sirène stridente. De la pénombre, la pièce est soudainement baignée par le rouge de l'alerte. Elle le sait, non loin, les forces de sécurité convergent déjà vers sa position.

Hors de question de se laisser prendre. Elle choisit la seule solution qui lui paraît viable. Dans la ventilation, elle rampe et s'éloigne le plus possible de la sécurité. Mais, prise au piège dans un labyrinthe de conduites obscures, ne pouvant compter ni sur la vue, ni sur l'ouï, ni sur un fil d'ariane, elle avance tant bien que mal, se concentrant pour ne pas perdre la raison. Car depuis des jours perdue dans les limbes et avançant sur le ventre, ses yeux aveugles lui font voir des hallucinations.

Au loin, derrière les plaines craquelées, elle aperçoit, un grand château sein de sept murailles. Par-delà les sept portes, elle distingue de vertes prairies qui lui sont inaccessibles. Continuant son pèlerinage, au fur et à mesure qu'elle approche, à l'horizon se dessine un gigantesque orbe de flammes. Sa lumière blanche inonde son champ de vision. Enfin, elle peut se lever.

Reprenant ses esprits, elle met quelques instants à comprendre où elle est : dans un puits d'aération. Cette gigantesque structure hexagonale est un grand faussé d'où toutes les conduites partent et où elles se rendent. En contrebas, le puits donne sur une rue bondée : la liberté. Mais il y a un dernier obstacle sur sa route, une hélice à trois pales qui tourne à toute vitesse sur toute l'envergure du puits. Déjà, son subconscient lui envoi des images de chair découpée et broyée, elle les balaie. La concentration fait monter l'adrénaline dans son corps, son métabolisme et son rythme cardiaque s'accélère. L'écoulement du temps ralenti lui fait percevoir une vitesse de rotation accessible. Elle focalise son attention sur les pales, elle prend le rythme, un, deux, et elle s'élance.

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