Cocquecigrues

Knot

Knot

Knot de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

Il faisait bon vivre dans les plaines vallonnées de Prémence. La région était bordée au nord par une mer aux eaux poissonneuses, dans laquelle naviguait d'innombrables navires marchants venant des royaumes septentrionaux. Au sud, se trouvait Arles, la capitale du Saint-Empire Arelois, le centre économique, culturel et politique du continent. La Prémence bénéficiait donc d'une situation économique privilégiée, le passage y était fréquent, le commerce florissant et la culture raffinée.

Comme si cela ne suffisait pas, la Prémence était très bien irriguée en eau, car c'était là que se déversait la Séandre, un grand fleuve au débit conséquent. Ainsi, l'herbe y poussait grande, verte et en abondance. À tel point que la région était connue pour la qualité de sa viande bovine et de ses produits laitiers. Les Prémenciens étaient friands de crème, de fromage, de beurre et de lait. La recette la plus populaire du coin était une spécialité de sauté de veau à la crème de champignons.

Car oui, en plus des eaux poissonneuses et des plaines herbeuses, la Prémence était l'hôte de vieilles forêts primaires riches en bois de qualité, en gibier sauvage et en champignons de toutes sortes. C'était dans ces bois, que les enfants des villages de paysans et de fermiers aimaient passer du temps. Ils y jouaient à cache-cache ou partaient à l'aventure, en explorer les recoins les plus sombres.

Sans surprise, c'était donc dans une ancestrale forêt de chênes que Bruet et Simon décidèrent de construire leur cabane. Les deux frères, fils d'un réputé fabricant de corde, avaient apporté tout le matériel nécessaire : des planches de bois, des clous, un marteau et surtout, des cordes. Plein de cordes.

Ils décidèrent de l'emplacement : une petite clairière au centre du bois, de l'arbre : un vieux chêne au tronc épais et recouvert de mousse, et de la forme : un navire ! Simon, qui passait son temps à se rêver marin et que son père formait au métier de cordier, avait une connaissance impressionnante des cordages de navires, pour son âge. Il se mit donc en tête de reproduire pour leur cabane, les agencements complexes de cordes qui ornaient les grands navires de guerre de la flotte impériale.

Au final, les deux frères mirent presque un an pour fabriquer leur cabane. Bruet avait onze ans et Simon quinze ans quand la construction fut enfin terminée. Le moins qu'on pouvait en dire, c'est qu'elle avait fière allure. Les planches de bois étaient sommairement assemblées et témoignaient de l'ignorance totale des frères en charpenterie, en revanche, le tout était agrémenté de magnifiques cordages qui donnait un air de navire échoué à l'ensemble.

On y grimpait, bien entendu, par une échelle de cordes. La hauteur toute relative de la construction ne leur donnait qu'une visibilité sur la petite clairière où ils l'avaient construite. En revanche, en suivant les cordages pour monter par le toit de la cabane, on pouvait atteindre le sommet de l'arbre, où ils avaient eu l'audace et le courage d'installer un nid de pie, et alors on avait une vue dégagée de toute la région. À l'est, on voyait même la mer.

Au final, les deux frères passèrent moins de temps à jouer dans leur cabane qu'à la construire. Les seize ans arrivèrent bien vite pour Simon et son père l'envoya s'éduquer au Lycée Impérial de Pret-Merloin, la plus grande ville portuaire du nord du pays, où se trouvaient les chantiers navals impériaux. C'est Bruet qui reprendrait la boutique.

Aujourd'hui, les deux frères ne se voient presque plus. Bruet est bien devenu fabricant de corde à la suite de son père. Il forme son fils unique à ce métier, qui lui-même formera à son tour probablement, un jour, son propre fils. La dernière fois que Bruet avait vu Simon, ce fut lorsqu'il était venu passer une grosse commande de cordes. En temps normal, les cordiers de Pret-Merloin suffisent largement, mais avec la montée en tension des relations diplomatiques, l'impératrice a ordonné la construction de soixante navires de guerre supplémentaires. Simon avait réussi à glisser le nom de son frère dans la liste des cordiers supplémentaires que l'intendance des chantiers navales allait recruter.

Car oui, Simon est bel et bien devenu marin, puis capitaine. Il est à la tête de l'Aegolius, un croiseur de la marine impériale. De plus, il est dans les bonnes grâces de l'amirale commandant la flotte dont son navire fait partie. Si tout se passe bien, Simon peut peut-être espérer finir sa carrière dans l'amirauté.

Pour ça, bien entendu, il faut d'abord survivre à la guerre qui s'annonce.

Vessel

Vessel

Vessel de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

Au sein du Saint-Empire Arelois, la religion était primordiale. À tel point qu'à l'Université Impériale, la quasi-totalité du campus était occupé par les différents départements d'études théologiques. Pour trouver quelque chose en rapport avec les sciences, il fallait traverser la Séandre, le fleuve qui découpe la capitale, et se rendre sur la rive nord où se trouvaient les bâtiments de l'Académie des Sciences dans lesquels moins d'une cinquantaine d'élèves étudiaient auprès de la poignée de savants qui y enseignaient.

Aubert était l'un d'eux. Il était même leur doyen. Le vieil homme avait beau avoir une apparence de vieux sage fatigué avec sa barbe blanche, ses lunettes épaisses et son crâne dégarni, c'était en fait un passionné de sciences qui avait du mal à tenir en place plus de dix secondes. En toute logique, il aurait dû être à la tête de l'Académie, mais pour Aubert, il était hors de question de perdre son temps en réunions interminables et en politique hypocrite. Rien ni personne n'aurait su le tenir éloigné de ses nombreux travaux.

À l'Académie, on l'appelait Aubert-au-galop, car il était connu pour marcher à une vitesse proche de la course dans les couloirs. D'ailleurs, si vous aviez le malheur de marcher trop lentement, vous aviez toutes les chances de vous faire enguirlander par Aubert-au-galop, c'est-à-dire qu'il vous criait dessus sans s'arrêter de marcher pour autant.

Son exceptionnelle énergie, Aubert l'avait mis au service de la science. Il avait au cours de sa longue carrière fait de nombreuses découvertes. Il était en expert de nombreux domaines et peu de chose lui étaient complètement inconnues. Pourtant, quand l'impératrice en personne était venue dans son bureau lui remettre une petite fiole de liquide rouge, ses vastes connaissances lui parurent désormais bien maigres.

« Le sang d'un ange. »

C'était la seule information dont Aubert disposait. Pourtant, ce n'était pas la première fois qu'un croyant lui apportait une quelconque relique soi-disant d'origine divine. Aubert n'avait jamais vraiment été impressionné jusque-là. Il appliquait le doute méthodique comme lui avait enseigné son maître, il y a très longtemps. Il testait et à chaque fois l'objet se révélait tout à fait normal.

Pas cette fois-ci.

Oh, le sang n'était pas en cause. Il n'y avait aucun moyen de vérifier qu'il s'agissait bien de sang angélique bien sûr, mais Aubert avait appliqué les deux méthodes de tests qu'il connaissait sur le sang et avait pu confirmer qu'il s'agissait bien de sang. Humain, divin ou animal, ça, il ne n'aurait su le dire. Mais cela importait peu au final. Ce n'était pas le sang qui inquiétait Aubert, c'était la fiole.

Elle n'était pas en verre. Cette fiole était en fait un cristal. Une pièce unique, sans trace de taille ou de polissage, comme si le cristal s'était naturellement formé comme ça. Plus étrange encore, Aubert était incapable d'en déterminer l'origine.

Sa curiosité chauffée au fer blanc, il avait passé de nombreuses nuits à lire de vieux traités sur les cristaux, des vieux manuels de fabrications de verre, des livres sur la taille des pierres précieuses. En manque de savoir, il s'était rendu dans les contrées sous le joug de l'Empire, dans les pays voisins, dans les terres sauvages. Il avait observé travaillé des souffleurs de verre, des tailleurs de pierres, des joailliers, des bijoutiers. Il avait visité les plus prestigieuses bibliothèques du continent, les plus modestes des librairies, des couvents, des monastères.

Après tout ce temps passé à étudier la fiole, il avait oublié à quoi ressemblait l'époque où il ne les voyait pas. Quand leurs connaissances avaient-elles commencé à s'insinuer dans son esprit. Il n'arrivait tout simplement plus à s'en souvenir. Il était perdu et apeuré. Seul, dans l'obscurité des archives d'une bibliothèque, ou peut-être dans l'arrière-boutique d'une librairie, il l'avait enfin trouvé.

Ils l'avaient sûrement guidé, sans aucun doute. Mais peut importait désormais : il tenait dans ses mais le livre qu'il avait tant cherché. Contiendrait-il ce qu'il désespérait de trouver ?

Un moyen de faire disparaître les tentacules.

Suit

Suit

Suit de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

Au passage du colosse, les soldats ne pouvaient s'empêcher de le regarder avec admiration. Son imposante et épaisse armure d'acier lui donnait des airs de statue. Certains lui adressaient des signes de main timides, mais Toussaint était absorbé dans ses pensées. Il traversait le camp fortifié sans prêter attention à ce qui l'entourait.

Ce dont il avait à discuter avec le chef de ces mercenaires barbares le mettait mal à l'aise. S'il se prenait mal, Wulfrend se vexerait et il risquait de refuser de porter les armes à la prochaine bataille. Toussaint pouvait sentir la sueur lui coller dans le dos, il n'était pas un diplomate, et cette situation demandait la plus grande délicatesse.

Il arriva enfin au centre du camp et après avoir échangé un signe de tête avec les gardes, il entra dans la tente de commandement. La pièce principale était vide, mais il pouvait entendre des gémissements venir de la chambre. Levant les yeux au ciel, Toussaint s'annonça d'un « Wulfrend ! » sonore en s'asseyant sur l'un des sièges.

« Toussaint ? Attends, j'arrive. »

Le temps de s'habiller le chef barbare était enfin là, quoi que très décoiffé. Il ouvrit un placard et en sortit une petite amphore et deux gobelets en bois. Il s'assit en face de Toussaint et leur servit à tous les deux, une rasade de cet alcool sucré et doux dont les barbares ont le secret.

« Qu'est-ce qui t'amène ? Je pensais pas te revoir avant la fin de la semaine. »

Toussaint avait du mal à cacher son malaise. Il poussa un grand soupir, bu une gorgée d'alcool et s'éclaircit la voix avant de commencer à parler.

« On a un problème Wulfrend. Les cadavres de nos hommes ont été pillés.
— C'est pas très surprenant, si ?
— Comment ça ?
— Je veux dire, qu'il y ait des pillards qui passent sur les champs de batailles. Ça arrive tout le temps non ?
— Bien entendu. C'est pour ça que notre armée a des règles très strictes sur la question. Nous ne laissons aucun cadavre, aucune arme, aucun bouclier, aucune armure derrière nous.
— Alors, comment vous avez pu être pillé ?
— C'est justement la question que tout le monde se pose. Les cadavres ont été pillés pendant la bataille. »

Wulfrend se leva et alla jeter un œil par l'ouverture de la tente. Après un moment, il se retourna.

« Si tu veux me poser une question, ne tourne pas autour du pot, Toussaint.
— Soit. J'ai du mal à considérer que ça puisse être une possibilité sérieuse, mais le Conseil de Guerre m'a ordonné de m'en assurer.
— Incroyable… dit Wulfrend avec amertume.
— Je suis désolé, mais je dois en être sûr. Wulfrend, est-ce que toi ou un de tes hommes a récupéré de l'acier ? »

La tension était montée d'un cran. Tous les deux savaient ce qui était en jeu et aucun n'avait besoin d'un rappel. Arelat, auquel appartenait Toussaint, était le seul royaume du continent à connaître le secret de l'acier. Les mercenaires barbares, maniant des armes de fer et de bronze, avaient l'interdiction formelle de s'approprier de l'acier Arelois.

Wulfrend ne dit rien, il s'éclipsa dans une pièce adjacente pendant quelques instants et en ressortit avec une épée, rangée dans un fourreau de cuir. Toussaint, pu immédiatement remarquer deux choses : le fourreau et le pommeau étaient neuf, et donc la lame probablement vierge de tout combat ; la forme de l'épée était celle des chevaliers Arelois, et non celle des courtes épées barbares.

« Wulfrend… Qu'as-tu fait ? gronda Toussaint.
— C'est fini Toussaint. Mon peuple connaît les secrets de l'acier désormais ! jubila Wulfrend, qui dégaina l'épée d'un coup sec. Mes forgerons ont fondu les armures de tes hommes et en ont fait des épées, des lances et des haches. Son secret dévoilé au monde, Arelat sombrera bientôt sous la deuxième grande invasion du nord. Il n'y a rien que tu puisses faire, Toussaint. Tout ceci te dépasse ! »

Sans le prévenir, Wulfrend se jeta sur Toussaint. Dans un geste expert du chef de guerre qu'il est, il abattit la lame de son épée au niveau du trapèze droit de Toussaint. D'un coup, il le blesserait et empêcherait toute riposte éventuelle.

Il y eut un grand tintement, une gerbe d'étincelles et Wulfrend tomba sur le dos. Dans ses mains, une épée brisée. Toussaint se tenait devant lui, le surplombant de son regard désapprobateur. Son armure n'affichait pas la moindre trace de rayure à son trapèze droit.

« Petit chefaillon pitoyable… Croyais-tu réellement percer les secrets de l'acier en fondant quelques armures volées ? Ton peuple primitif ne connaîtra jamais ses mystères, car Arelat ne saurait être inquiété par de vulgaires barbares. »

Toussaint, tranquillement rejoint la sortie de la tente. Avant de partir, il marqua une pause et lâcha les derniers mots qu'un homme d'Arelat n'eut plus jamais prononcés à l'adresse d'un homme du nord.

« Nous pensions vous utiliser comme chair à canon, mais si même cela se montre trop difficile pour vous, alors Arelat n'a plus aucune utilité de ton peuple Wulfrend. »

Crystal

Crystal

Crystal de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

Il y avait un cristal sur sa couronne, elle en était sûre. Petit et discret, il se perdait dans les multitudes de joyaux, diamants et pierres précieuses serties à même l'or blanc, si bien qu'elle n'arrivait pas à le retrouver. La vieille dame, seule dans son petit salon manipulait le précieux objet comme s'il s'agissait d'un vulgaire cercle de fonte. Peut-être par ce qu'à 86 ans dont 64 ans de règne, l'impératrice Antaress Ⅱ n'était plus du tout impressionnée par ce qui brille. Malgré ses efforts, la souveraine n'arrivait pas à retrouver l'emplacement de ce petit cristal. Étaient-ce ses yeux qui avaient fatigué ou sa mémoire qui lui faisait défaut ? Peut-être bien les deux après-tout... Il me semble qu'il n'était pas loin du gros saphir, se disait-elle.

Tandis qu'elle inspectait son impérial bijou, son esprit divaguait à la récollection de vieux souvenirs. Elle se remémorait les étés de sa jeunesse, passés au milieu des champs de lavande, des vignes et des vergers dans le sud du pays, juste à la frontière des Marches Anpresiennes. Il était de tradition, l'été que la cour déménage dans la demeure estivale de la famille impériale. À l'époque, elle n'était que petite fille bien sûr, les tracas des adultes ne la concernait pas : elle passait le plus clair de son temps à jouer dans les jardins avec les autres enfants de la cour. Bien entendu, puisqu'elle était héritière du trône, elle devait rester sous la supervision attentive d'Ava, sa gardienne personnelle. Celle-ci se donnait du mal pour suivre la petite bande de démons qui n'hésitaient pas à sortir des limites de la demeure et à s'aventurer en forêt, dans les collines, et même une fois dans les mines de quartz de la Broussière. Ce jour-là, Ava les avait sévèrement sermonnés et ils passèrent le reste de la semaine confinés à l'intérieur de la demeure.

Mais où est-ce qu'elle est cette fichue caillasse ! dit à haute voix la souveraine qui commençait à perdre patience. Elle reprit du début et se mit en tête de passer au moins cinq secondes sur chaque pierre, elle y passerait la nuit s'il le fallait.

Les nuits chaudes et étouffantes... C'était probablement le moins bon souvenir qu'elle gardait de cette époque. Enfin, au début seulement. Passé ses 15 ans, elle avait commencé à s'intéresser aux garçons. Les nuits devinrent nettement plus agréables. Bien entendu, elle ne découvrit pas les plaisirs de la chair immédiatement, à cet âge, ses nuits étaient composés d'escapades nocturnes au lac et de nuits passées à discuter. L'impératrice ne se souvenait pas quand elle était tombée amoureuse, mais elle se souvient clairement de ce qui a changé. À 18 ans, toutes les nuits, il venait la voir dans sa chambre, au nez à la barbe d'Ava. Cependant, ces souvenirs sont mêlés avec la douleur de la séparation à l'arrivée de l'automne. Elle avait fait l'erreur de tomber amoureuse de Gedimion, le fils du Duc des Marches Anpresiennes. Lorsque l'automne arrivait, il repartait dans le château de son père au sud ; elle repartait au nord, pour la capitale et le palais impérial.

Pendant des années, il ne pouvait se voir que l'été et échangeaient des lettres l'hiver. Leur amour était fort et il le consommait avec passion tous les étés. Bien entendu, les jeunes amants étaient naïfs. Le père de Gedimion, Duc des Marches Anpresiennes et la mère d'Antaress, la précédente impératrice entretenaient un rapport vassal et une alliance très forte. Il y avait bien d'autres seigneurs à fédérer et bien d'autres relations diplomatiques à entretenir. À 24 ans, Gedimion dus donc épouser la Princesse Emma, l'héritière du trône de Boldanie et lorsqu'elle devint reine, lui, fut couronné Prince Régent. De son côté, Antaress fut couronnée impératrice à 22 ans et comme le veut la tradition, elle ne prit pas de mari officiel. Elle ne revit Gedimion qu'à de très rares occasions.

Ahaaah ! s'écria-t-elle. Je savais bien qu'il était sous le saphir.

Elle regardait avec intensité le petit quartz taillé, caché dans un trio de gemmes transparentes, perdu dans la myriade de pierres précieuses décorant sa couronne d'apparat. Ses yeux étaient humides non pas de tristesse, mais d'une nostalgie aigre-douce. Elle se remémorait le jour où on lui offrit cette magnifique couronne. C'était un cadeau diplomatique, d'un pays voisin. Une magnifique pièce unique réalisée par les meilleurs bijoutiers et joailliers du monde connu. Le prince régent Gedimion, l'offrit à l'impératrice, en symbole de paix. Depuis lors, celle-ci la portait pour toutes ses obligations diplomatiques. La couronne avait fini par devenir le symbole de la paix pour la région, puisqu'à chaque fois qu'elle était portée, on signait un traité, on négociait un accord ou on entretenait une amitié.

Cependant, pour deux personnes, cette couronne avait une tout autre signification. Elle était un message d'un amour secret, souvenir d'une escapade dans une mine abandonnée, une journée d'été.

Le Palefrenier pendu du Lac de Paladru

Les montagnes immaculées des immensités alpines pour tout horizon, sur la plage, les jeunes gens se donnèrent rendez-vous. Au temps béni des baisers et du raisin volé, l'idylle idéale des naïfs, dès l'origine, à la tragédie était vouée. Mais amoureux, mais seul, l'erreur de croire l'impossible possible, il commit

Le Palefrenier pendu du Lac de Paladru

Puisque village et puisque grand-mères, l'arcane et le mystique, naturellement, furent excommuniés. De la Tour du Pin, à Méry, toutes âmes vives, connaissent la légende inavouée. Tous coupables car tous savaient en secret. Rare sont ceux à qui, en songe, il n'est pas venu rendre visite

Le Palefrenier pendu du Lac de Paladru

Ce qui devait apporter amour et chaleur, ne produisit que discorde et douleur. Par les armes, au fil de l'épée, ce dut être réglé. Mais, coutumes furent ignorées, lois furent violées, honneur fût bafoué. À la douce enlevée, il fut confronté

Le Palefrenier pendu du Lac de Paladru

Quel choix avait-il ? Quel ressort ? Jusqu'au bout de lui, celui qui n'était rien, au sacrifice, concédât. Ceux qui lui passaient la corde au cou, ignoraient que la clé des limbes, pour eux-mêmes ouvraient. Nul repos, car œil pour œil, éternels tourments pour les tourmenteurs. Le dernier souffle pour

Le Chevalier pendu du Lac de Paladru

Screech

Screech

Screech de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

« Des renforts sont en route ! Rends-toi O'Connell ! »

Pas de réponse. Pourquoi est-il allé se réfugier dans cette vieille bâtisse, sérieux ? S'il croit vraiment qu'un vieux manoir en bois constitue un planque solide, il est encore plus demeuré que j'le pensais. Bon, il faut que j'avance prudemment, le parquet grince comme pas possible, donc impossible d'être discret. Un regard à gauche, arme au poing, torche en appui, hop, j'avance.

« WOOH ! O'Connell ! Tu m'entends ? D'une seconde à l'autre on va entendre les sirènes ! Rends-toi ! »

Raaah, c'est pas possible, il est où ce con ? Personne dans le salon, personne dans la cuisine. Ah ! Un grincement derrière moi ! Je me retourne et... Non, c'est juste la toile blanche de rideaux en lambeaux qui flottent négligemment au clair de lune. Bon, dans le bureau, il y a rien non plus : deux trois bibliothèque, une commode, une cheminée, un cercle de symboles dessiné à la craie au sol ; rien d'intéressant en somme.

« Bon aller, ça a assez duré sort de.. »

Pas le temps de finir ma phrase, un cri strident résonne ! Une femme ?! Ou peut-être une petite fille ! Bon sang, mais qu'est-ce qu'elle fait là ? O'Connell, t'as pas intérêt à lui faire de mal ! Le cri vient d'en haut, ni une ni deux je me dirige aux pas de course vers les escaliers. Tiens, la baraque à pas de toit, j'avais pas fait gaffe en arrivant. C'est pour le mieux, la pleine lune me donne une bonne visibilité. J'avance vers une chambre, au sol allongé, le regard vide : O'Connell ! Merde, il est mort. À côté, il y a une femme qui est assise, comme à son chevet. Sa chevelure noire décoiffée, vole au vent, un peu comme si elle était sous l'eau. Elle est habillée d'une petite robe blanche... Mince ! Elle doit se les geler.

« Madame ? Tout va bien ? »

Pas de réponse. Je m'approche prudemment, elle est peut-être en état de choc. Je crois entendre des sanglots.

« Madame ? Je suis de la police de Longford. »

Je suis à sa hauteur, je pose ma main sur son épaule et... D'un coup elle se retourne en hurlant ! Surpris, je m'écarte et c'est là que je les vois ! Ses yeux ! Ses orbites son vide ! Marie ! La pauvrette est aveugle !

« Ça va aller madame. Pas besoin de hurler, je suis de la police je vais vous aider. »

Elle a l'air étonnée. Je déchire un lambeau de ma chemise. Doucement je pose le lambeau sur ses yeux pour former un bandeau. Voilà, ça devrait la protéger, ne serait-ce qu'un peu, des infections. Je m'assieds à côté d'elle et je jette un œil à O'Connell. Ses lèvres sont bleues... Une cyanose ? Je reporte mon attention sur la femme. Elle a l'air complètement perdue.

« Je m’appelle Allistair Kelly. Quel est votre nom ? »

Elle ne réagit pas tout de suite. Après un temps, elle bouge doucement les lèvres comme si parler allait lui arracher les cordes vocales.

« Bean Si »

Crooked

Crooked

Crooked de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Rarement dans la littérature morbide il est fait mention de l'étrange affaire du duché de Tizac. Contrairement à tous ses voisins et à la plainte générale de ses gens, le Duc Abaddie de Tizac avait interdit les exécutions publiques. Le bourreau opérait depuis quelques années directement dans la prison du château, en présence disait-on, d'un prêtre et d'un officiel en témoin. La nature pieuse et la politique résolument moderne du Duc aurait dû suffire à justifier ce décret : la mort doit se faire dans le deuil et non la joie, même pour le plus vil des hommes. Mais comme vous le savez certainement, rares sont les décisions politiques d'apparence innocentes à l'être réellement.

Cette affaire fut portée à mon attention après que j'eus observé une hausse de la criminalité au duché de Tizac. Est-ce que priver son peuple d'exécutions publiques avait pu lui faire oublier la peur de l'échafaud ? De ce que j'avais pu recueillir comme information sur lui, le Duc m'apparaissait comme un dirigeant sensé et un être intelligent. Étrange que quelqu'un d'aussi avisé ne soit pas au fait des bienfaits du divertissement populaire pour la stabilité politique d'une région. Non, tout cela était décidément trop étrange.

Je pris donc la route pour le duché de Tizac, où je me fis passer pour un vagabond. Arrivé aux faubourgs du château, j'entrais dans le personnage. Une bagarre d'ivrognes plus tard et me voici au cachot pour la semaine. De ma cellule je pouvais observer la prison de l'interieur, interroger les prisonniers de longue date et surtout manipuler les gardes afin qu'ils me révèlent des informations par mégarde. Il me fallut au final, cinq allés-retours aux geôles pour peindre un tableau complet de l'affaire.

Les faits étaient accablants : les condamnés à mort étaient tous enfermés dans une aile séparée des cachots ; aucun garde n'avait jamais assisté à une exécution ; personne n'avait vu aller où venir le bourreau, ni ne connaissait son identité. À cela, il fallait ajouter deux derniers faits très étranges : les exécutions avaient exclusivement lieu de nuit ; lorsqu'ils étaient transportés à la fosse commune, les corps des condamnés étaient enroulés dans un linceul blanc si serré qu'on apercevait les traits des défunts.

À l'auberge, plongé dans mes réflexions depuis plusieurs jours, je maudis ma stupidité qui me fit passer à côté de l'élément le plus étrange de l'affaire : les corps dans les linceuls ont encore leur tête ! Or, la loi est formelle, la décapitation est la seule forme d'exécution autorisée dans le royaume.

Réalisant l'ampleur de l'affaire, je me rends au galop à Pessan, quérir l'aide de l'Évêque Labriffe. Celui-ci, face aux éléments de l'enquête arrive aux mêmes conclusions que moi et en vertu de son autorité cléricale, réquisitionne un détachement militaire afin d'amener Abaddie de Tizac devant la justice royale. Celui-ci est enfermé et quelques semaines d'enquête supplémentaire révèlent toute l'affaire.

Le Duc, vampire, avait réussi à cacher sa nature démoniaque en se nourrissant des condamnés à mort de son duché. Afin d'être toujours approvisionné, il orchestrait des meurtres et faisait condamner des innocents. Son stratagème aurait pu durer encore très longtemps s'il n'avait pas cédé à la gloutonnerie. Mais rassurez-vous, celui-ci a été exécuté et la date de sa mort est aujourd'hui un jour de fête dans tout le royaume.

Shy

Shy

Shy de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Les habitants de Lydion sont fiers et comment le leur reprocher ? Leur ville est un paradis sur Terre. Elle est réputée pour sa vie nocturne riche : ses gigantesques opéras aux divas virtuoses et ses petits théâtres intimistes ; pour sa gastronomie : ses pâtisseries familiales sur les quais, ses grands restaurants dans le centre historique ; pour ses divertissements ; pour ses talentueux artistes de rues et surtout pour son grand parc d’attraction de renommée mondiale : Les Jardins de Pluton.

La particularité des Jardins, c’est son mélange unique d’immenses attractions permanentes, qui font la réputation du parc, et d’autres, plus modestes et temporaires, organisées par des groupes de nomades. Cette variété lui donne une atmosphère empreinte de magie et de mystère. Le plan n’est jamais le même, d’un jour sur l’autre, le visage des Jardins change du tout au tout.

Dans les tréfonds du parc, loin dans le quartier des forains, dans une ruelle dont l’entrée est cachée par de grandes toiles violettes, se trouve la plus petite et la plus ridicule des attractions : un chamboule-tout. J’ai été très surpris de tombé dessus, à vrai dire, je cherchais les toilettes.

« Bonjour, jeune homme. Tu viens tenter ta chance au Grand Chamboule-Tout de Pluton ? » m’alpague l’homme frêle qui tient le stand. Je le regarde pendant une seconde. Vêtu d’un costume fantaisie rapiécé, ce qui marque c’est son masque, il est aussi imposant que son porteur est chétif.

« Ah, ben pourquoi pas. Qu’est-ce que je gagne ?
— Pas de lot ici mon garçon, cabotine-t-il, se désarticulant derrière son comptoir. Au Grand Chamboule-Tout de Pluton, on mise et on souhaite.
— Je comprends pas.
— Bien, dit-il après un temps de réflexion, alors je t’offre un coup pour rien. »

Il me tend une balle. Je le regarde un moment. Je la prends, je la lance à la base des conserves : la tour s’effondre. Un peu surpris, je le dévisage d’un air interrogatif. « Bien joué, gaillard, ton souhait est exaucé », m’annonce-t-il en me pointant la direction d’une porte d’un cabinet de toilette, juste à côté de moi, que je n’avais pas vu. Comment j’avais fais pour ne pas le voir ?

Sortant des toilettes, ayant eu un temps de réflexion, je décide de le mettre au défi, l’air déterminé j’annonce : « Bien ! Je souhaite la richesse et la gloire !
— Contre quoi ? demande-t-il, taquin.
— De l’argent ?
— Non, quelque chose qui a plus de valeur.
— Quoi ?
— Et bien… fait-il, l’air de faussement réfléchir. Pourquoi pas 30 années de services par exemple ? »

Je sens que je transpire un peu, je déglutis. « Marché conclu » dis-je du bout des lèvres, un léger tremolo dans la voix. Il me tend une balle que je prends. J’essaie de me rassurer pour arrêter mon bras de trembler. A-t-on jamais vu un pari mal tourner ?

Sword

Sword

Sword de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Altesse Sérénissime, Divine Souveraine,

Votre Éminente Grâce permettra que je lui rappelle la tache qu'elle me confiât à l'occasion de ma visite dans son palais pour les noces de Son Altesse Princière, son fils, au printemps dernier. Votre Éminente Grâce avait eu vent de rumeurs colportées en son Saint Royaume concernant une enfant accomplissant exploits et fait d'armes, au grand plaisir de ses sujets provinciaux, mais à l'inquiétude formulée de sa Garde.

Ma Reine permettra que je lui demande humblement d'excuser le délai avec lequel je lui fais part de l'avancement de mon investigation.

Ce temps, je puis lui affirmer que les rumeurs dont elle me fit part étaient fondées : Ozalie de Blanchecombe, âgée de treize années et armée d'une épée bien trop imposante pour sa frêle stature, sillonne le Saint Royaume de Votre Éminente Grâce, purgeant le mal, le chaos et l'ombre sur son passage.

Le nom Blanchecombe sera peut-être familier à Votre Éminente Grâce puisque, quinze années auparavant, ce nom était porté par l'une des membres de sa Garde : Celia de Blanchecombe qui s'était rendu coupable de désertion, d'apostasie et de haute trahison en abandonnant son illustre poste à la protection sacrée de Votre Divine Personne, brisant son serment, répudiant son devoir et reniant ses vœux.

Votre Éminente Grâce comprendra ainsi aisément le dilemme qui me tînt : l'engeance d'une trahison envers sa Divine Souveraine peut-elle être pardonnée par l'abnégation, la chevalerie et l'altruisme dont fait preuve quotidiennement l'héroïne proclamée du peuple provinciale.

Ainsi, je m'en remets au juste jugement de Votre Éminente Grâce ; je suis, ce temps, accompagné de l'héritière de Blanchecombe, en route pour le palais où ma Reine aura le loisir de prendre la décision qui lui siéra.

E. B.

Long

Long

Long de Plume de Marmotte, 2017. Tous droits réservés.

Depuis la nuit des temps, au pays on peut croiser ceux qu'ils appellent les Percelieux. Ce sont des géants silencieux, hauts comme des montagnes, qui marchent lentement dans une patrouille mystérieuse. Bien que l'on sache peu de choses à leur sujet, ils font partie de notre culture et nous vivons en symbiose avec eux.

Le tracé laissé par leurs immenses pieds sont devenus des routes et leurs lieux de repos des points de repère. Notre peuple les a baptisés et aujourd'hui, chaque région a son Percelieux et porte son nom.

Évidemment, les érudits de toutes les générations se succèdent pour essayer de comprendre leur rôle, leur origine, ou leur nature. Mais plus nous en apprenons sur nos étranges voisins, moins nous comprenons ce qu'ils font là.

Je m'appelle Cornelius Archiflux, je suis le plus grand érudit de ma génération sur les Percelieux. Sans vouloir me vanter, je pense avoir fait bien avancé l'état de nos connaissances à leur sujet.

Grâce à moi, nous savons notamment qu'ils ne se nourrissent pas. C'est une thèse, qui fait aujourd'hui loi, que je développe dans un de mes livres où j'explique que s'ils ne se soulagent pas, c'est naturellement qu'ils ne se nourrissent pas. Imparable.

Au sommet de ma gloire, j'ai ordonné qu'on brise le tabou sacré de nos vieilles croyances et qu'on abatte un de ces géants. Il me tardait de pouvoir enfin faire ce que tous mes prédécesseurs n'avaient que fantasmé : une autopsie.

Un matin, avec mon équipe de médecins, de biologistes et de zoologistes ainsi qu'accompagné par un régiment de l'armée, nous sommes allés à la rencontre d'Atris, le Percelieu du coin. Après un seul coup de canon à la nuque, il s'est effondré de tout son long. Nous avions alors attribué le séisme qui s'en est suivi au contrecoup de la chute du géant. Mais une semaine plus tard, la nouvelle tombait. Tous les Percelieux s'étaient éteints, en même temps.

La découverte était grande, les géants sont liés ! La mort de l'un, signifie leur mort à tous. On aurait dû me couvrir de gloire pour une telle découverte, bien qu'accidentelle. Mais non ! Pensez-vous ! La doxa n'était pas en phase avec de telles révélations.

La fin des Percelieux, a mis en péril le réseau routier, soit. Il est désormais impossible de se repérer facilement en regardant leurs silhouettes imposantes à l'horizon, je l'admets. Les prédateurs n'étant plus effrayés par leur présence sortent des forêts et s'aventurent maintenant jusqu'en ville, d'accord. Leurs carcasses géantes ont causé l'augmentation de la population de rats propageant des épidémies et rendant les villes insalubres, je le concède.

Mais tout de même ! Était-ce une raison suffisante pour m'enfermer pour l'éternité ? J'en doute.

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