Tick
Tick de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.
Il faisait presque frais cette nuit-là. Une légère brise remontait de la mer, portant avec elle une subtile odeur de sel. Le ciel, libre de tout nuage, et une lune presque pleine, donnaient à cette nuit d'été une clarté suffisante pour que l'assassin à la fenêtre projette son ombre dans toute la chambre.
Beller, dans un silence surnaturel, descendait de l'encadrement de la fenêtre. Une fois les pieds au sol, il prit quelques secondes pour complètement analyser les alentours. « Trois bosses dans le lit, Borso et deux femmes. Deux portes, gauche pour la salle d'eau, droite pour le couloir. Un bureau, divers documents, livres, lettres, un coupe-papier en argent, des plumes, de l'encre. Une coiffeuse, maquillages, peignes. Une armoire entrouverte, vêtements. Trois chandeliers éteints. Pas de cheminée. »
Familiarisé avec la pièce, il avança sans un bruit vers le lit. Il vit trois têtes dépasser du très léger drap de lin transparent. Borso dormait entre deux jeunes femmes, probablement ses maîtresses. Beller tira de sa poche un petit sachet de papier plié qu'il ouvrit délicatement. À l'intérieur se trouvait un insecte noir, une petite tique. Il se pencha sur le lit, sans le toucher, pour déposer la tique dans le cou du prince marchant, mais, au dernier moment, Beller se figea sur place.
Il lâcha le sachet qui tomba, avec la tique, dans le cou de sa cible et retira d'un geste vif l'aiguille du sien. On lui avait tiré dessus à la sarbacane. Beller fit un pas maladroit en arrière et tourna la tête pour regarder par la fenêtre. Sur le toit d'en face, se tenait une silhouette. Sa vision se troublait et il n'arrivait pas à voir quel que détail que ce soit. Il regarda dans le lit, et vit que la tique gonflait déjà à vue d'œil. Même s'il mourrait ce soir, sa mission était un succès.
Beller voulut courir vers la fenêtre pour aller confronter son mystérieux adversaire, mais les deux portes s'ouvrirent et des hommes en armes entraient dans la chambre. L'assassin, encerclé et en panique, se mit dos au bureau, il essaya de dégainer sa dague, mais ses forces l'abandonnèrent. Il mit un genou au sol et il sombra dans l'inconscience.
Il eut la sensation de cligner des yeux et déjà d'être réveillé. Son sommeil avait été sans rêve et son esprit n'avait pas enregistré le temps passer. Il ne pouvait dire combien de temps, il avait dormi. Beller savait juste ce que son corps lui disait. Il était assis sur un sol de terre battue, les bras levés, attachés par des fers qui l'empêchaient de s'allonger. Son dos était en contact avec un mur de pierres froides. Sa bouche était pâteuse et sèche, il avait soif.
Beller ouvrit enfin les yeux et en effet, il était dans des geôles souterraines. Il était cependant complètement nu. Tentant de changer de position, il grimaça en constatant le piteux état de ses poignets, mutilés par les fers.
Comment les choses avaient-elles pu dégénérer aussi vite ? Il se repassa le film des évènements et n'arrivait pas à comprendre par où cette mystérieuse silhouette avait pu venir. Il avait eu une vue dégagée des toits avant d'entrer dans la chambre de Borso, comment aurait-il pu rater un autre assassin ?
Non, ça n'avait pas de sens, la seule explication était qu'on l'attendait. La personne derrière la silhouette était très certainement en embuscade dans une autre pièce de la résidence, ou dans un autre bâtiment. Mais si c'était bien le cas, ça voulait dire… Avant qu'il n'eût fini son raisonnement, la porte s'ouvrit et Borso entra, accompagnés de gardes.
« Alors ? Voici donc la vermine arelatte qui me traque depuis deux semaines. Je suis surpris que tu aies attendu si longtemps avant de tenter quelque chose, gamin. »
Beller ne dit rien, il regardait le prince marchant sans témoigner aucune émotion en surface. Intérieurement, en revanche, il fulminait. Il était en colère contre lui-même, car la tunique du prince laissait voir pleinement son cou et aucune trace de morsure de tique n'y était apparente. Il avait été dupé par un double.