Suit de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.
Au passage du colosse, les soldats ne pouvaient s'empêcher de le regarder avec admiration. Son imposante et épaisse armure d'acier lui donnait des airs de statue. Certains lui adressaient des signes de main timides, mais Toussaint était absorbé dans ses pensées. Il traversait le camp fortifié sans prêter attention à ce qui l'entourait.
Ce dont il avait à discuter avec le chef de ces mercenaires barbares le mettait mal à l'aise. S'il se prenait mal, Wulfrend se vexerait et il risquait de refuser de porter les armes à la prochaine bataille. Toussaint pouvait sentir la sueur lui coller dans le dos, il n'était pas un diplomate, et cette situation demandait la plus grande délicatesse.
Il arriva enfin au centre du camp et après avoir échangé un signe de tête avec les gardes, il entra dans la tente de commandement. La pièce principale était vide, mais il pouvait entendre des gémissements venir de la chambre. Levant les yeux au ciel, Toussaint s'annonça d'un « Wulfrend ! » sonore en s'asseyant sur l'un des sièges.
« Toussaint ? Attends, j'arrive. »
Le temps de s'habiller le chef barbare était enfin là, quoi que très décoiffé. Il ouvrit un placard et en sortit une petite amphore et deux gobelets en bois. Il s'assit en face de Toussaint et leur servit à tous les deux, une rasade de cet alcool sucré et doux dont les barbares ont le secret.
« Qu'est-ce qui t'amène ? Je pensais pas te revoir avant la fin de la semaine. »
Toussaint avait du mal à cacher son malaise. Il poussa un grand soupir, bu une gorgée d'alcool et s'éclaircit la voix avant de commencer à parler.
« On a un problème Wulfrend. Les cadavres de nos hommes ont été pillés.
— C'est pas très surprenant, si ?
— Comment ça ?
— Je veux dire, qu'il y ait des pillards qui passent sur les champs de batailles.
Ça arrive tout le temps non ?
— Bien entendu. C'est pour ça que notre armée a des règles très strictes sur la
question. Nous ne laissons aucun cadavre, aucune arme, aucun bouclier, aucune
armure derrière nous.
— Alors, comment vous avez pu être pillé ?
— C'est justement la question que tout le monde se pose. Les cadavres ont été
pillés pendant la bataille. »
Wulfrend se leva et alla jeter un œil par l'ouverture de la tente. Après un moment, il se retourna.
« Si tu veux me poser une question, ne tourne pas autour du pot, Toussaint.
— Soit. J'ai du mal à considérer que ça puisse être une possibilité sérieuse,
mais le Conseil de Guerre m'a ordonné de m'en assurer.
— Incroyable… dit Wulfrend avec amertume.
— Je suis désolé, mais je dois en être sûr. Wulfrend, est-ce que toi ou un de
tes hommes a récupéré de l'acier ? »
La tension était montée d'un cran. Tous les deux savaient ce qui était en jeu et aucun n'avait besoin d'un rappel. Arelat, auquel appartenait Toussaint, était le seul royaume du continent à connaître le secret de l'acier. Les mercenaires barbares, maniant des armes de fer et de bronze, avaient l'interdiction formelle de s'approprier de l'acier Arelois.
Wulfrend ne dit rien, il s'éclipsa dans une pièce adjacente pendant quelques instants et en ressortit avec une épée, rangée dans un fourreau de cuir. Toussaint, pu immédiatement remarquer deux choses : le fourreau et le pommeau étaient neuf, et donc la lame probablement vierge de tout combat ; la forme de l'épée était celle des chevaliers Arelois, et non celle des courtes épées barbares.
« Wulfrend… Qu'as-tu fait ? gronda Toussaint.
— C'est fini Toussaint. Mon peuple connaît les secrets de l'acier désormais !
jubila Wulfrend, qui dégaina l'épée d'un coup sec. Mes forgerons ont fondu les
armures de tes hommes et en ont fait des épées, des lances et des haches. Son
secret dévoilé au monde, Arelat sombrera bientôt sous la deuxième grande
invasion du nord. Il n'y a rien que tu puisses faire, Toussaint. Tout ceci te
dépasse ! »
Sans le prévenir, Wulfrend se jeta sur Toussaint. Dans un geste expert du chef de guerre qu'il est, il abattit la lame de son épée au niveau du trapèze droit de Toussaint. D'un coup, il le blesserait et empêcherait toute riposte éventuelle.
Il y eut un grand tintement, une gerbe d'étincelles et Wulfrend tomba sur le dos. Dans ses mains, une épée brisée. Toussaint se tenait devant lui, le surplombant de son regard désapprobateur. Son armure n'affichait pas la moindre trace de rayure à son trapèze droit.
« Petit chefaillon pitoyable… Croyais-tu réellement percer les secrets de l'acier en fondant quelques armures volées ? Ton peuple primitif ne connaîtra jamais ses mystères, car Arelat ne saurait être inquiété par de vulgaires barbares. »
Toussaint, tranquillement rejoint la sortie de la tente. Avant de partir, il marqua une pause et lâcha les derniers mots qu'un homme d'Arelat n'eut plus jamais prononcés à l'adresse d'un homme du nord.
« Nous pensions vous utiliser comme chair à canon, mais si même cela se montre trop difficile pour vous, alors Arelat n'a plus aucune utilité de ton peuple Wulfrend. »