Stuck

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Stuck de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

— N'vous arrêtez pas, sire ! On doit y traverser.

Clairence XIV s'était arrêté pour se reposer contre une vieille souche d'arbre couvert de mousse et de champignons. Progresser dans les eaux épaisses et boueuses du marais l'épuisait. Pour ne rien arranger, il se prenait régulièrement les pieds dans des plantes aquatiques, dans des nénuphars ou simplement sur le relief accidenté sous la surface de l'eau. À bout de souffle, son corps lui réclamait à grande inspiration toujours plus d'air, mais l'air était nauséabond, il régnait ici une odeur répugnante d'œuf pourri et à chaque inspiration, il était pris de spasmes vomitifs.

— Juste une minute Beller, il faut que je reprenne mon souffle, murmura Clairence.
— J'suis désolé, sire, mais non. On a pas ce luxe, rétorqua l'éclaireur en prenant le roi par le bras et en le forçant à se relever. Les troupes du Duc vont nous tomber dessus d'une minute à l'autre.
— Il faudrait que leurs chevaux acceptent de s'aventurer dans le marais sans paniquer.
— Sire, même à pied, ils peuvent nous rattraper, on peut pas s'arrêter.

Beller passa le bras gauche du roi par-dessus son cou et entreprit de l'aider à marcher. Ils avançaient péniblement, pas après pas. Clairence XIV semblait réellement au bord de l'évanouissement. Cela n'aurait pas vraiment dû surprendre l'éclaireur, car si son corps à lui était endurci d'années de pratique de son art, celui du roi était attendri par la vie de palais.

Soudain, Beller s'immobilisa. Son visage affichait un regard inquiet, puis finalement, il ferma les yeux. Le roi qui remarqua le changement d'allure le regarda un moment sans comprendre. Il ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'il se passait, mais avant que le moindre son puisse en sortir, l'éclaireur y posa une main pour lui ordonner de rester silencieux.

— Cinq chevaux, au galop, Sud-Sud-Est, dit finalement Beller, sur le ton neutre et sans vie qu'il avait toujours lorsque son autre personnalité reprenait le dessus.
— Les hommes du Duc !
— Oui, mais… Au galop ? se demanda à lui-même Beller.
— C'est bizarre, comment peuvent-ils faire galoper les chevaux dans cette soupe ?

Beller lâcha le roi, que la perspective du combat commençait à réveiller. Il fit quelques pas vers l'Est. Il cherchait visiblement quelque chose. Clairence eut la surprise de le voir s'aventurer dans une partie profonde du marais et de commencer à nager.

— Beller ! Tu vas de te noyer ! s'écria le roi avant de voir Beller remonter à la surface et marchait sur l'eau. Comment ? demanda-t-il abasourdi.
— Il y a un chemin caché, sire ! Une route juste sous la surface de l'eau, encadré par deux grandes tranchées profondes. C'est pour ça que les chevaux sont au galop.

Le roi rejoignit son éclaireur et fut forcé de constater qu'il disait vrai. Une grande route, bien visible lorsqu'on était dessus, traversait le marais en serpentant. Elle était immergée sous à peine un pouce d'eau.

— Un chemin de contrebandier ? demanda Clairence.
— Non, trop large, trop grand, trop long. C'est une route secrète, fabriquée par le Duc ou l'un de ces ancêtres. Un avantage tactique critique en cas d'invasion, de fuite ou de poursuite.
— C'est donc pour ça qu'ils nous ont acculés jusqu'au bord du marais, ils peuvent le pratiquer sans crainte.

Leur conversation fut interrompue par le bruit des galops qui se faisaient maintenant clairement entendre. Bientôt, ils virent apparaitre les cavaliers. Ils étaient cinq, en armure de maille, équipés de lances et d'épées.

— Fuyez sire. Courez le long du chemin et rejoignez nos troupes.
— Beller…
— Mais lorsque vous aurez retrouvé Toussaint, promettez-moi de marcher sur les forces du Duc. Faites lui payer sa trahison.

Le roi hocha la tête. Il posa sa main sur l'épaule de son éclaireur. Les deux hommes restèrent un instant ainsi, puis le roi parti en courant. Beller, quant à lui, faisait face aux cinq cavaliers qui approchaient. Ils étaient en rang, deux par deux, car la route ne pouvait accueillir trois cavaliers de front.

Beller dégaina ses deux sabres. Il en avait un dans chaque main, de petits sabres recourbés, armes typiques des espions d'Arelat. Il attendit que les chevaux soient sur lui.

En un éclair, il tourna sur lui-même évita les deux coups de lances et s'accroupissant trancha nette les deux chevilles des chevaux des hommes de front. Il répéta cette manœuvre trois fois, et les cinq chevaux s'effondrèrent. Avant même que les soldats ne purent s'extirper de l'amoncèlement de chair agité qui résultait du carambolage, Beller fut sur deux d'entre eux qu'il décapita net. Les chevaux souffrant, ils s'agitaient en tout sens et l'un des hommes fut martelé à mort par les sabots qui frappaient dans toutes les directions. Seul deux hommes parvinrent à s'extirper et à dégainer leurs épées.

Beller et les deux hommes restant se faisait face, séparé par l'amas de chevaux et de cadavres. Petit à petit, les chevaux paniqués, tombaient sur les bords du chemin dans l'eau putride. Lorsque le dernier le ferait, les trois hommes se jetteraient les uns sur les autres.

Enfin, ce fut le cas. Beller courut à toute vitesse sur les deux hommes. Il avait une position de course inhabituelle, il était penché en avant, baissant son centre de gravité et cachant ses organes vitaux. Les deux soldats surpris, n'avancèrent pas mais tenait leur position. Beller arriva à leur hauteur, les deux hommes levèrent leurs armes et à cet instant l'éclaireur se redressa, et inversa la marche, il stoppa net son accélération. Les pointes des deux épées lui frôlèrent le nez, Beller avait mis tout juste assez de distance pour être hors de portée. Il fit un pas et trancha les deux têtes net.

Les deux cadavres à ses pieds, Beller, couvert de sang pris quelques secondes pour reprendre son souffle. Il n'avait qu'une envie, rejoindre son roi. Mais ses sens aguiser par l'adrénaline lui interdisait de bouger. Il pouvait entendre une troupe de cavalier en provenance du sud, il n'avait vaincu que les éclaireurs.

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