Sour

Sour

Sour de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

Des cavaliers au galop grimpaient la colline d'herbe rousse qui surplombait les alentours. Arrivés au sommet, ils ralentirent et s'arrêtèrent côtes-à-côtes pour observer l'horizon. Ils restèrent un moment en silence à scruter le lointain. D'épaisses colonnes de fumée noire s'élevaient de derrière les collines. Le Bois de Meudron était en feu.

Ils étaient trois.

À gauche, Beller, un homme frêle d'une trentaine d'années. Il était habillé de vêtements en cotons marrons et verts qui ressemblaient à des guenilles. Un œil profane n'aurait pas vu en lui l'exceptionnel éclaireur et espion qu'il était, mais un simple badaud, peut-être un pauvre paysan ou même un mendiant.

À droite, Toussaint de Bayard, un homme massif d'une quarantaine d'années. Il avait le visage balafré et anguleux. Il portait une armure de plates, lui comme son cheval, un robuste étalon de guerre.

Au milieu, Clairance XIV, roi d'Arelat, un jeune homme d'une vingtaine d'années. Il portait une armure finement ouvragée mélangeant acier, cuir et tissus. Elle semblait offrir une protection descente au roi sans pour autant être trop contraignante à porter.

— C'est comme j'vous l'disais messires. Ils font bruler le Bois de Meudron, dit Beller l'éclaireur en pointant du doigt la grosse colonne de fumée noir qui montait au loin.
— Je vois ça soldat, confirma Clairance. Qu'en penses-tu, Toussaint ?
— C'est dur à dire… réfléchissait Toussaint à haute voix. Qu'est-ce qu'il gagne à bruler cette forêt ?
— Comme je vous l'disais dans mon rapport, le bois était le meilleur chemin pour l'armée.
— Très bien éclaireur, ressors-nous ton rapport, ordonna Toussaint.
— Quatre à cinq cents hommes, débarqués par la mer, il y a six ou sept jours. Rejoins, il y a trois jours par deux cents hommes de plus venu de l'Est. Tous les écussons et sigles sont couverts ou effacés. Troupes en attente, dans la vallée depuis deux jours. Vecteur d'attaque recommandé : passer par le Bois de Meudron et les attirer dans les champs en contrebas pour être cueillis par la cavalerie.

Le souverain comme le général, malgré les années à le côtoyer, furent une fois de plus surpris par le changement de ton de l'éclaireur. Aucun des deux n'aurait su dire, quelle version était le véritable Beller : la coquille vide récitant un rapport apprit par cœur ou le simplet sans raffinement incapable de s'exprimer correctement.

— Est-ce qu'ils auraient des espions dans nos rangs ? Quelqu'un leur aurait transmis le rapport ? demanda le roi.
— J'pense pas, nos rapports sont jamais écrits et vous êtes les seuls à qui on les donne.
— Beller à raison, sire. Ils ont simplement dû arriver aux mêmes conclusions que nous et ont décidés de nous couper cette voix d'accès. — Je vois. Alors, dans ce cas, quels sont les autres moyens d'accéder à la vallée ?
— Par le nord, c'est la mer, dit Beller en pointant du doigt le fin liseré bleu qu'on voyait à l'horizon. Par le sud, c'est les marais. D'après les pégus du coin, c'est un bourbier acide qui pue l'œuf pourri.
— Aucune voie d'accès… dit Toussaint. Et si on fait le tour ?
— Les prendre à revers ? étudia Beller. J'imagine que c'est bien possible, mais ils sont juste à la frontière. Ça veut dire passer par chez Orangis.

Il y eut un temps de silence, ils étudiaient la possibilité.

— Ça me parait très délicat d'envoyer autant de troupes sur les terres du Duc. Il risquerait de prendre ça pour une agression.
— Surtout si c'est lui qui a envoyer les renforts. Il est peut-être parti prenante de l'invasion.
— Tu as raison Toussaint, il faut d'abord envoyer un émissaire diplomatique pour tirer la situation au clair.
— En effet sire.
— T'as recommandation ?

Toussaint inspira longuement en fermant les yeux. Intérieurement, il compilait toutes les informations à sa disposition afin d'établir un plan d'action. Finalement, il ouvrit les yeux et débita.

— Six cents hommes reste sur place : deux cents fantassins, cent archers, cinquante cavaliers et cinquante balistères. Leur mission est de couper une potentielle retraite par le bois une fois celle-ci brulée. Le reste des troupes font le tour par le sud. Nous envoyons dès ce soir, Beller, un émissaire et quelques hommes chez le Duc l'informer de la situation et récolter des informations. Vous, sire, le suivez à deux jours de retard, avec une escorte. Vous allez chez le Duc pour tirer la situation au clair. Beller, dans tous les cas, au bout d'un jour d'enquête vous partez à la rencontre du roi afin soit de l'empêcher de tomber dans un piège, soit pour lui donner le plus d'informations possibles sur la situation à la cour du Duc. Pendant ce temps, les troupes ne s'arrêtent pas. En fonction de ce qu'il se passe chez le Duc, nous formons un plan de bataille depuis l'Est ou nous organisons une retraite afin de ne pas nous retrouver pris en étau entre le Duc et l'armée inconnue.

Le roi réfléchit un temps et acquiesça.

— Très bien, dit le roi. Messieurs, nous sommes les trois seuls au courant de ce plan. Faisons en sorte que cela reste le cas le plus longtemps possible.

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