Raven

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Raven de Saveur Tomato, 2021. Tous droits réservés.

« Suivante ! »

Madame de Chatelneuf n'avait pas la moindre patience. À peine quelques secondes s'étaient écoulées depuis son appel, que déjà, elle tapait frénétiquement du pied. Ses souliers claquaient contre la pierre froide, produisant un battement qui résonnait dans toute la salle de classe vide. Elle soupira bruyamment et replaça ses petites lunettes demi-lunes sur le bout de son nez afin de lire la feuille d'émargement. Elle parcourut la liste de noms jusqu'à la première entrée qui n'était pas notée dans la colonne Examen final.

« Védiane ! Bouge-toi le popotin si tu ne veux pas que je te note sur quinze au lieu de vingt ! »

Derrière la porte, dans le couloir, on entendit des murmures et des bruits de pas paniqués. La porte, laissée entrouverte par l'élève précédent, s'ouvrit brusquement et Védiane entra dans la salle, affichant un mélange de peur et de panique sur son visage.

La jeune fille était grande et mince. Ses cheveux noirs étaient coupés au carré si haut qu'on voyait la base de sa nuque. Elle avait cependant laissé deux mèches plus longues, encadrer sa frange et son visage. Elle était vêtue, comme tous les élèves de l'institution, d'une tenue prête du corps et sombre. Mélange de plaques et de sangles de cuir noir et d'une tunique et d'un pantalon de coton gris, cette tenue, un peu inhabituelle pour des élèves, était complétée d'une paire de grosses bottes se fermant avec 3 boucles. Le tout donnait à Védiane un air d'aventurière.

« Allez, appelle en un ! On n'a pas toute la journée. »

Védiane qui se tenait maintenant juste devant le bureau de Madame de Chatelneuf, pris une grande inspiration, tourna la tête vers la petite fenêtre à arc brisé qui donnait sur la cour intérieure, tendit le bras et siffla d'un son si aigu qu'on l'entendait à peine. Après quelques instants d'attente, un grand corbeau noir s'engouffra par l'ouverture et vint se poser sur la main gantée de Védiane.

« Tu veux vraiment passer l'examen avec Rach ? s'étonna Madame de Chatelneuf.
— Oui ! Je sais qu'il est un peu capricieux, mais il m'aime bien, je crois.
— Comme tu veux. Tous les autres ont choisi Trim.
— C'est un peu de la triche de prendre Trim non ? Il a 14 ans, il sait exactement quoi faire sans qu'on ait rien à lui dire.
— J'ai tendance à être d'accord. Si ça ne tenant qu'à moi, chaque élève se verrait assigner un pensionnaire au hasard, gronda l'enseignante. Mais assez perdu de temps. Commence par une routine de placements, rappels et ordres ternaires. Après quoi, si tu en es capable, une montée synchrone. Pour finir, une figure avancée de ton choix. »

Védina s'exécuta sans se faire prier. Elle avait mille questions, mais elle connaissait sa professeure et savait qu'il valait mieux se tromper que perdre du temps à poser des questions. Elle commença par envoyer le corbeau se poser sur une des poutres de la charpente. Védiane émettait de petits sons inaudibles pour l'oreille humaine, effectuait de très discrets mouvements afin de transmettre ses ordres à l'oiseau. Celui-ci obéissait sans broncher, il passait de poutre en poutre.

Au bout d'un moment, Védiane se retourna vers Madame de Chatelneuf qui hocha la tête. Elle passa donc à la suite du programme. Tout en maintenant le regard de sa professeure, Védiane effectua un petit mouvement de la main gauche et aussitôt le corbeau s'envola sans un bruit. Il décrivit un grand arc de cercle pour rester hors de vue de Madame de Chatelneuf et se posa juste derrière elle, sur une armoire. Alors, Védiane leva le bras et Rach vint s'y poser tranquillement.

« Bien. La suite ! » commenta simplement Madame de Chatelneuf.

L'examen continue pendant plusieurs minutes. Védiane était une élève exemplaire, Rach lui obéissait parfaitement. Elle le démontra via toutes sortes de figures. Elle pouvait commander l'oiseau sans contact visuel, en sifflant, ou lorsqu'il y avait du bruit, avec de petits gestes. Elle pouvait lui donner des ordres simples comme très complexe. Le corbeau était même capable de transmettre des informations en croassant ou en effectuant une petite danse, agitant les ailes et rebondissants sur ses pattes. Après une bonne demi-heure, le corbeau comme l'élève étaient épuisés. Védiane libéra Rach qui rentra à la volière.

« Tu changes de pensionnaire pour le final ? demanda Madame de Chatelneuf, le nez dans sa prise de notes.
— Si ça pose pas de problème. Rach est trop fatigué pour la suite.
— Non aucun souci, tu veux prendre qui ? »

Alerté par le bruit du battement d'ailes qui approchait, la professeure leva brusquement la tête. Un énorme oiseau noir entra par l'ouverture de la fenêtre à peine assez grande pour qu'il y passe. C'était un corbeau gigantesque, d'une envergure d'albatros, au plumage noir de jais. Il se posa avec force sur le bras de Védiane qui eut un mouvement de recule sous la force de l'impact.

« Urgan… dit Madame de Chatelneuf dans un souffle.
— Oui ! dit fièrement Védiane.
— Tu es en deuxième année, qu'est-ce que tu veux faire avec corbeau arctique ?
— Eh bien, hésitait faussement Védiane qui avait un air défi aux fonds des yeux. Une métamorphose. »

Madame de Chatelneuf était bouche bée, un air d'incrédulité absolu le lisait sur son visage. Védiane maintenait son regard. Elle avait appris le secret des métamorphoses en lisant des traités réservés aux élèves de cinquième année et elle avait passé du temps à s'entrainer, à peaufiner sa technique. Avec l'aide d'Urgan, elle avait réussi des métamorphoses partielles et aujourd'hui, elle était prête à tenter une transformation complète. Tout ce travail, toutes ses nuits blanches allaient enfin payer.

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